Chacun vit sa vie comme il peut avec ses bons moments et ses moins bons. On surmonte les difficultés au jour le jour en faisant du mieux qu’on peut. On essaie de vivre sans blesser les autres, de ménager la chèvre et le choux comme on le dit. Alors on se concentre sur les choses positives : des bonnes nouvelles, des sourires, des amis. On essaie de ne pas se morfondre sur notre sort car ailleurs il y a plus malheureux, autour de nous il y a des gens avec des problèmes plus graves.
Et puis un jour…
Alors que nous partagions un moment de joie et de bonheur avec des amis, nous parlions de façon insouciante de tout et de rien, du nouveau lien qui va nous lier à la naissance de mon bébé. Alors que nous passions le genre de soirée qui fait du bien où on oublie tout. Le genre de soirée que la plupart des français aime passer le vendredi soir.
Nous avons appris que la soirée de milliers de personnes venaient d’être gâchée, que la vie d’une centaine de personnes venaient de s’arrêter précocement de façon horrible. C’est ce jour où nous avons compris que nous n’étions plus en sécurité. Ma grand-mère, qui a connu les bombardements de la Seconde Guerre Mondiale, m’a toujours dit que nous étions en train de vivre une nouvelle sorte de guerre, une guerre économique, elle a sûrement raison quand on voit comme chacun craint la fin du mois, comme certaines personnes n’arrivent pas à se nourrir correctement chaque jour. Mais comment imaginer que les bombardements pouvaient reprendre? Comment imaginer que nous serions nous aussi terroriser de sortir de chez nous? Comment imaginer que des images de films pouvaient devenir réalité?
Et puis un jour…
Je me réveille, le bilan est plus lourd que la veille.
J’ai mal.
J’ai mal à ma France, j’ai mal à mon humanité, j’ai mal à mon monde. Ce monde dans lequel je construis ma vie, dans lequel j’aime, un monde dans lequel je veux que mes enfants s’épanouissent, rient, s’amusent.
Et puis un jour…
J’écoute cette radio où l’on parle de morts, de guerre, de temps de sang. On annonce des moments sombres. J’ai peur, peur de l’avenir, peur de ce qui peut se passer, peur car je ne peux rien y faire. Je ne peux pas protéger ceux que j’aime. Lorsque je conduis mon fils à l’école je passe devant ce garage où il y a des hommes en noir avec des gilets pare-balles, des casques et des armes, des voitures avec gyrophare, comme un rappel que le danger est partout y compris à quelques pas de chez nous. Les attentats ont eu lieu à Paris mais le monde entier est touché! Le monde entier est en danger. Que dire sur l’atrocité de ces actes? Que dire de cet attentat au Kenya? Il n’y a pas de mots. Je n’ai pas de mots juste une grande peur, un état léthargique dont je n’arrive pas à sortir.
Et puis un jour…
On nous dit qu’il faut continuer, qu’il faut vivre, qu’il faut profiter, qu’il ne faut pas les laisser gagner.
Mais comment oublier les images diffusées lors de l’attentat de Charlie Hebdo? Comment oublier ces témoignages des survivants du Bataclan? Des familles des victimes? Comment oublier les corps allongés de ces élèves kenyans? Je ne peux pas, je n’y arrive pas.
Alors oui, il faut continuer. Je dois continuer pour ne pas céder à la psychose, je dois continuer pour mes enfants qui n’ont pas à vivre dans la peur, qui ont besoin de garder leur insouciance, je dis continuer pour ne pas les laisser gagner.
Et puis un jour…
Ce jour marque la fin du deuil national. Ce jour marque un nouvel état d’esprit, celui où on ne se laissera pas faire, celui où personne ne nous empêchera de vivre, de rire, de profiter de l’instant présent. Ce jour est celui où la France se relève. Ce jour où on peut dire nous sommes vivant et libre! Nous ne vivrons pas dans la peur!