Cet article a été écrit par le Dr Xavier RIAUD, Docteur en chirurgie dentaire, Docteur en épistémologie, histoire des sciences et des techniques, Lauréat et membre associé national de l’Académie nationale de chirurgie dentaire, membre libre de l’Académie nationale de chirurgie. Il a proposé cet article dans le cadre de mon envie de vous faire découvrir Nantes à travers ses habitants.
« La baleine allaite ses petits » par Xavier RIAUD
Interpellé par une plaque commémorative…
Un jour que je me promenais dans les rues de la ville de Nantes avec ma femme et ma fille, j’ai été interpellé par une plaque commémorative située dans une cage d’escalier au 9, rue Boileau. Quelques jours plus tard, je suis revenu avec un crayon pour en noter le texte.
« Ici s’élevait le cabinet dentaire de Pierre Audigé, résistant, responsable pour Nantes et la région de Basse Loire du Mouvement Libération-Nord, puis du Réseau Cohors-Asturies. Nommé en 1942 par Jean Cavaillès, fondateur de ces organisations, il fut arrêté par la Gestapo, torturé et disparut dans les geôles nazies en juin 1944. Mort pour la France. »
Après quelques recherches, j’ai découvert qu’une rue de Nantes et de Caen portait également le nom de Pierre Audigé.
Qui était-il ?
Pierre Audigé était originaire de Toulouse. Pourtant, c’est à la Faculté de médecine de Paris qu’il choisit de faire ses études. Par la suite, il vient s’installer à Nantes où il dirige le plus gros cabinet dentaire avant la guerre. Tous ceux qui l’ont connu reconnaissent qu’il était un brillant dentiste.
La guerre éclate
Pierre refuse la capitulation. A son retour du front, associé à d’autres dentistes, il décide de s’engager dans la Résistance. «La baleine allaite ses petits » était une phrase de reconnaissance codée qu’ils échangeaient entre eux.
Les cabinets médicaux dans la Résistance
Un cabinet dentaire, ou médical, était un lieu propice aux échanges d’informations, de par les gens qui y circulaient. Un flot permanent de renseignements pouvait ainsi y être véhiculés. C’est ainsi que les médecins et les dentistes ont participé activement à différents réseaux de la Résistance française. Beaucoup d’entre eux ont été capturés, peu en sont revenus.
La mission de Pierre Audigé
Il avait pour mission de rechercher des terrains de parachutages auxquels il a participé, d’entreposer et de cacher ce qui était envoyé, de rechercher des maisons isolées pour abriter des soldats parachutés le jour J, de recruter des jeunes susceptibles de combattre, de constituer des stocks de vivres pour ces soldats et de recueillir des renseignements sur l’emplacement et l’importance des effectifs ennemis. Plus tard, il a aussi organisé les réseaux dont il avait la charge en recrutant de nouveaux membres et en cloisonnant le recueil d’informations).
La fuite
Il est resté dentiste à Nantes jusqu’à la fin 1943. Il a assisté à la destruction de son cabinet après les bombardements de septembre. A Paris, la Gestapo a été amenée à faire une perquisition chez un membre du réseau Cohors-Asturies. Les renseignements obtenus ont permis à celle-ci de remonter jusqu’à Nantes, au cabinet de Pierre Audigé. Ayant pressenti le danger, la famille Audigé était parvenue à s’enfuir juste à temps dans le Calvados où elle a vécu à Caen pendant 9 mois. Là, Audigé a repris son activité de dentiste, a reconstitué un réseau et a fait sauter une centrale électriques.fr.
Arrestation
Pierre Audigé est arrêté le 17 avril 1944, sur dénonciation. Il subit alors la torture des interrogatoires. Sur la route le conduisant à la prison de Fresnes, il est exécuté sommairement, le 2 juin 1944. Il avait 36 ans. Son corps ne sera jamais retrouvé. Il gît probablement dans une fosse commune.
Après la guerre
Le Dr Pierre Audigé a reçu la médaille de la Résistance, le 30 janvier 1946 et la Croix de Guerre, le 24 avril 1950. Il avait été auparavant nommé capitaine par l’armée à titre posthume.
Les autres dentistes du Réseau Cohors-Asturies
Monsieur François Van Pée était un dentiste qui n’exerçait pas. Il fournissait ses confrères en matériel approprié à leur exercice. C’était aussi un élément du réseau de résistance Cohors-Asturies, à Nantes. Il est arrêté le 21 avril 1944 par la Gestapo avec sa femme Léa, son frère René, également dentiste, et l’épouse de celui-ci. Il est demeuré trois mois à la prison de Nantes et a été déporté à Mauthausen avec son frère où il a servi de cobaye aux expérimentations nazies au Château d’Hartheim. Il a fini par en succomber ainsi que son frère. Sa femme Léa est morte à Ravensbrück. Monsieur Pierre Palluel était un jeune mécanicien dentaire de Nantes, appartenant au même réseau de résistance. Il est arrêté en mars 1944 et déporté en juin. Il est parvenu à revenir, mais dans un état affreux. Il est mort dans de grandes souffrances en 1946.
Conclusion
Nantais de naissance, j’ai souhaité rendre hommage à quelques héros inconnus de la Résistance française par trop souvent oubliés. La profession peut s’enorgueillir de ces hommes et de ces femmes qui lui ont en toutes circonstances et à tous moments fait honneur. Cet article n’aurait pas été possible sans l’aide de la famille Audigé qui vit aujourd’hui près de Caen et sans la famille Van Pée qui a eu jusqu’à deux laboratoires de fournitures dentaires sur Nantes tenus par les enfants de René et de François.